Les usages non prÉvus par la poste

les timbres - monnaie

Docteur Pierre Broustine

A la fin de la première guerre mondiale, pour pallier à une pénurie de monnaie de billon néfaste aux échanges et au commerce, une floraison de moyens de remplacement a vu le jour, et en conséquence toutes les formes de monnaies de nécessité que nous connaissons des piécettes métalliques en melchior, en nickel, en zinc, en aluminium, en fer étamé, du papier monnaie de remplacement sous forme de billets de nécessité. Tout cela émis et garanti par des départements, des communes, des maisons de commerce et par des entreprises.
Tout naturellement, le timbre-poste prit une place de plus en plus importante comme monnaie d'appoint. On utilisait les petites valeurs 5 c., 10 c. et 25 c.. Ces figurines passaient ainsi de main en main, mais malheureusement au bout de quelques manipulations ce petit morceau de papier gommé se détériorait et finissait par perdre toute valeur au grand dam de l'utilisateur car à l'époque, un, deux ou cinq sous représentait quelque chose
Pour pallier à cette détérioration rapide du timbre on songea à enfermer celui-ci à l'intérieur d'une pochette protectrice en papier, il y en eut de toutes sortes : enveloppes, pochettes translucides, papier de soie, etc... Tout cela au début était très rudimentaire puis cela s'affina par la suite avec des pochettes fabriquées spécialement pour cet usage et fermées après l'introduction du timbre au moyen de petites étiquettes imprimées avec la raison sociale de l'émetteur qui rentabilisait par cette publicité les frais engagés.
En raison de la fragilité relative de ce système et du fait qu'il était très facile de récupérer le timbre en déchirant l'enveloppe protectrice, peu de ces pochettes sont arrivées jusqu'à nous et surtout celle de la "première mouture".
Ce système de pochettes était quand même précaire et devant la demande de plus en plus forte de monnaie divisionnaire certaines maisons de commerce copièrent ce que l'administration des postes avait déjà fait, et début 1920, apparurent les carnets de TIMBRES-MONNAIE.
Il existait depuis 1908 des carnets fabriqués par l'Administration de 20 et 40 timbres à 5, 10, 15, et 25 centimes, cela donna l'idée à certains grands magasins ou gros commerçants de reprendre cette formule.
Ils imaginèrent sous une couverture personnalisée publicitaire d'inclure des blocs de timbres de faible valeur faciale mais qui représentaient toujours la somme de un franc ou un multiple de un franc. Cela permettait à leur client de posséder, sous la protection d'une couverture de carnet, la monnaie nécessaire à leur achat et cela même à l'extérieur du magasin émetteur.
Les carnets de l'administration ont même servi tel quel puisque nous avons vu un carnet des P.T.T. de
40 timbres à 0,50 franc vert avec inscriptions à la plume :
Etablissement DAMOY crise des Monnaie, Mars et Avril 1920 (sic)
D'autres carnets de fabrications privées portent aussi cette inscription avec comme quantième Février et Mars 1920.
Un des premiers carnets de Timbres-Monnaie semblerait être celui émis par la Pharmacie Principale à PARIS qui porte la date du 13 Avril 1920. Nous en connaissons actuellement un certain nombre provenant de diverses maisons émettrices
Quelques pièces qui sont aussi à cheval entre le porte-timbre et le carnet. Cela concerne toujours un seul timbre collé sur le support publicitaire en carton.
Toujours par souci de protection plus efficace du timbre et pour une manipulation plus commode de ce dernier et surtout pour le mettre à l'abri de l'humidité, des inventeurs eurent l'idée de faire fabriquer un jeton en métal estampé-(aluminium ou fer blanc) sur lequel le timbre était mis puis recouvert d'un disque en mica, le tout après sertissage ressemblait à peu près à une pièce de monnaie.

La raison de ces fabrications

Les guerres, les révolutions, les troubles de toute nature amènent de fait, la disparition de la bonne monnaie " pièces d'or et argent " thésaurisées en vue de jours meilleurs. On constate de même la retenue des pièces de billon " cuivre, laiton, etc" ...
En France, la frappe des pièces d'or s'est terminée en 1914, celle des pièces d'argent de 0,50 F, 1 F et 2 F en 1920. D'autre part, si l'on met à part les pièces en métal précieux, il faut constater que la guerre de 1914-1918 a nécessité une consommation extrêmement importante de matières premières et tout spécialement des métaux contenus dans la monnaie divisionnaire de billon, qui servait une fois transformée en douilles pour les balles et les obus que le front réclamait inlassablement...
Tout cela a donc nécessité l'invention de nouveaux moyens en règlement des petits échanges.

Origine des timbres-monnaie

Il ne faut pas croire que nous avons été les seuls à utiliser les timbres comme monnaie de remplacement. Gaston TOURNIER, dans son étude de 1930, cite déjà de nombreux pays auxquels d'autres, depuis, se sont ajoutés, où ce type de monnaie a été utilisé.
Comme dards beaucoup d'autres domaines, ce sont les Etats-Unis, qui ont inventé le système de paiement au moyen de figurines postales.
C'est durant la guerre de sécession, en 1862, le 12 août, qu'un brevet fut déposé par M. John GAULT. Cela consistait à mettre dans une capsule en cuivre, un timbre la boite étant fermée par une feuille de mica.
La firme chargée de cette réalisation était SCOVILL et CO.
Cette capsule avait la forme d'un quarter en argent (1/4 de dollar). Au dos, apparaissaient déjà des annonces publicitaires. Ce genre de monnaie était garanti par l'état.
On connait 9 valeurs différentes, et une quarantaine de publicités

Fabrication

On trouve essentiellement deux métaux : l'Aluminium pour les timbres-monnaie estampés, et le fer blanc pour les timbres-monnaie dont le dos porte une impression en couleur ( en général 3 couleurs où dominent le rouge, le noir et le doré, mais on trouve aussi du crème, du vert, etc...).
Quatre parties constituent le timbre-monnaie :
- la rondelle métallique de base, qui une fois sertie fait 33 mm de diamètre ( quelques rares jetons ont un diamètre un peu supérieur ).
- un fond de papier de couleur, dont les tons dominants sont le rouge, le bleu, le blanc et le doré.
Ce fond de papier de couleur porte quelquefois en son centre l'inscription suivante :
" FYP " Sté s.g.d.g. 38, av. d'Eylau Paris XVIème. Les contrefacteurs seront poursuivis.
- le timbre lui-même, qui représente la valeur fiduciaire, et le but de cette fabrication.
- la rondelle transparente (cellophane, mica) qui enferme le timbre.
Le tout était serti très soigneusement, ce qui empêchait l'humidité, ennemie numéro 1 du timbre, de pénétrer, et qui mettait ce dernier à l'abri de toutes les détériorations
La statistique nous donne approximativement le pourcentage entre la fabrication des pièces estampées et des autres. Cela se répartit environ entre 1/4 pour les timbres-monnaie estampés et 3/4 pour les
timbres-monnaie dont la publicité est polychrome.

Prix de revient

Le prix de revient de ces capsules métalliques, était élevé sans compter bien sûr en plus, le montant de la valeur du timbre qui était inclus.
D'après ce que nous en savons, la fabrication, pour une firme, était au moins de 1000 exemplaires et coutait 100 francs pour les capsules estampées, soit 10 centimes pièce.
Pour les capsules polychromes, le prix de revient tombait à 75 francs le mille, soit 7 centimes 1/2 l'unité.
Cela était très cher pour un produit qui ne valait après tout que le prix du timbre qu'il contenait, et la grande trouvaille qui fait aujourd'hui l'attrait de cette collection est d'avoir associé au timbre-poste, la publicité, ce qui, en abaissant énormément le coût de revient, en a permis la grande diffusion.

Publicité

Cette publicité varie beaucoup : l'estampage permettait de sortit en relief les caractères et les motifs que l'annonceur désirait. En général, cette réclame se divisait en deux parties : une couronne délimitée par un double cercle et un motif central. On y trouve la raison sociale de la firme émettrice, son adresse, et très souvent le nom de la ville. Le motif central représente quelquefois un sigle ou un personnage, un animal, un bateau, etc... Que de trouvailles pour les collections thématiques !
Tout cela se retrouve sur les timbres-monnaie polychromes, mais souvent avec moins de différence entre la couronne et le motif central.
On trouve quelquefois le montant répété de la valeur du timbre, ce qui permettait à l'usager de reconnaître facilement la valeur de la pièce, puisqu'il pouvait la lire des deux côtés.

Tirage

Malheureusement, on ne connait pas les tirages de ces différents timbres-monnaie. Ce que l'on sait, c'est que la commande minimale était de 1000 pièces par firme. S'il est possible que certaines maisons n'ont commandé qu'une seule série de 1000, il est certain que pour d'autres, la commande était de plusieurs milliers, ce que l'on peut contrôler facilement en examinant les différences que l'on rencontre dans la composition de la publicité ou de l'estampage, pour une même firme.
Exemple : CREDIT LYONNAIS, qui est le timbre-monnaie le plus commun, a eu au moins' 12 tirages différents.

Utilisation

Les timbres-monnaie qu'ils soient présentés en pochettes, en carnets ou en capsules, n'ont jamais été reconnus officiellement par l'Administration, à l'instar de certaines monnaies de nécessité. Aucun organisme officiel, quelqu'il soit, ( département, ville, chambre de commerce ) ne les a utilisés comme tels.
Tous ont été émis par des firmes privées (banques, maisons de commerce, pharmacies, etc...). Ils ont été quand même vraiment utilisés, puisque.largement distribués dans la population, nos anciens s'en souviennent parfaitement. Néanmoins, ce système de paiement, ne pouvait pas être contesté légalement, puisqu'il s'utilisait à la valeur faciale des timbre-poste, qui sont des valeurs fiduciaires officielles. Nous n'avons d'ailleurs pas trace contestation de cette monnaie de fortune.

Durée

Si l'on reprend les textes et brevets, les dates des premières émissions nous sont relativement connues : au minimum, début du 2éme trimestre 1920 (publicité du Crédit Lyonnais, pour son emprunt 6 % 1920) puisque la date de dépôt du brevet est du 19 Mars 1920.
La fin de l'utilisation est beaucoup plus difficile à cerner. Ce que l'on sait officiellement c'est que, la taxe annuelle pour la validation du brevet a été payée la dernière fois, le 13 Mars 1923. C'est dans cette fourchette 1920 - 1923, que l'on peut déduire la fabrication et la véritable existence de ces moyens de paiements.
Dès 1922, la frappe des pièces de monnaie par l'atelier reprend. La reprise importante de la fabrication des pièces de 5 centimes, date de 1923

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